Pure menace

7 janvier 2025  | Par Jessica BERTHEREAU
L'actuariel // Technologies // Pure menace

L’antibiorésistance a provoqué plus d’un million de décès en 2021. Loin d’être maîtrisé, le phénomène inquiète l’Organisation mondiale de la santé, qui le classe comme une cause de mortalité majeure dans le monde. Comment concevoir une réponse globale pour contrer son expansion afin de préserver le potentiel des antibiotiques, produits thérapeutiques essentiels à la santé humaine ?

Réduire de 10 % d’ici à 2030 le nombre de décès associés à l’antibiorésistance : l’engagement pris en septembre 2024 lors de la deuxième réunion de haut niveau aux Nations unies est solennel. Car à l’échelle mondiale, la résistance aux antimicrobiens – c’est-à-dire des bactéries, des virus, des champignons et des parasites aux antibiotiques, antiviraux, antifongiques et antiparasitaires – est un fléau humain et économique. Ce dernier a causé la mort de 1,14 million de personnes en 2021, d’après une étude des universités d’Oxford et de Washington publiée en septembre 2024 dans The Lancet (1). Selon des projections réalisées dans cette analyse, la mortalité directement liée à l’antibiorésistance atteindrait 1,91 million de morts en 2050.

Et, pour les Nations unies, l’antibiorésistance pourrait par ailleurs « entraîner des coûts supplémentaires en soins de santé de 1 000 milliards de dollars par an d’ici à 2050 et des pertes de produit intérieur brut de 1 000 à 3 400 milliards de dollars par an d’ici à 2030. (…) Le traitement des infections bactériennes résistantes aux médicaments pourrait coûter jusqu’à 412 milliards de dollars par an. S’y ajoutent des pertes de participation au marché du travail et de productivité évaluées à 443 milliards ».

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Encadré

Une production publique se met en place à Lyon

Les virus bactériophages sont une des pistes de lutte contre l’antibiorésistance. Relativement confidentiel à ce jour, leur usage pourrait se développer en France à la faveur d’un programme de recherche en cours.

La thérapie phagique, qui consiste à utiliser des virus appelés bactériophages, prédateurs naturels des bactéries, pour traiter des infections résistantes aux antibiotiques bénéficie d’un regain d’intérêt en France. Pour l’instant, si leur utilisation reste relativement confidentielle, elle pourrait se développer, notamment grâce à la mise en place d’une production publique. C’est l’objet du projet Phag-One, coordonné par le professeur Frédéric Laurent, chef de service adjoint du laboratoire de bactériologie des Hospices civils de Lyon.

Lancé en 2021 pour une durée de six ans, Phag-One a obtenu un financement de 2,85 millions d’euros dans le cadre du programme prioritaire de recherche (PPR) sur la résistance aux antibiotiques. Les trois premières étapes du projet ont déjà été menées. La première a consisté à identifier et sélectionner les phages d’intérêt, un phage donné ne pouvant généralement interagir qu’avec une espèce bactérienne. « À partir d’un petit prélèvement d’eau dans une station d’épuration, dans lequel se trouvent des milliards de phages appartenant à des milliers de familles différentes, nous devons à chaque fois isoler un seul type de phage actif contre un seul type de bactérie », explique Frédéric Laurent.

Une difficulté supplémentaire consiste à sélectionner les phages dits lytiques, c’est-à-dire ceux qui détruisent la bactérie en se reproduisant, et à écarter les phages lysogéniques. Ces derniers sont potentiellement dangereux, car ils peuvent s’intégrer au génome de la bactérie sans la détruire et aller jusqu’à même, parfois, booster sa virulence ou sa résistance aux antibiotiques. Une fois identifiés, les phages lytiques sont gardés dans une collection scientifique qui en contient actuellement près de 80 contre des bactéries particulièrement problématiques (25 anti-Staphylococcus aureus, 37 anti-Escherichia coli, 7 anti-Klebsiella pneumoniae et 10 anti-Staphylococcus epidermidis).

Les deux phases suivantes ont consisté en la bioproduction de phages et leur purification qui ont dû être réalisées selon les bonnes pratiques de fabrication (BPF), qui garantissent la qualité, la sécurité et la conformité des produits thérapeutiques pour une administration chez l’homme. « Ces bonnes pratiques imposent la mise en place d’une infrastructure et de locaux accrédités, dans lesquels intervient du personnel habilité, ce qui signifie des coûts élevés », souligne Frédéric Laurent. Les prochaines étapes, à savoir l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité de ces phages, sont en cours. Suivront des essais cliniques dans des indications précises, notamment les infections osseuses et pulmonaires.

« Nous espérons obtenir l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé courant 2025 pour pouvoir utiliser nos phages dans le cadre de ces essais ou d’usage compassionnel  (NDLR : avant l’autorisation de mise sur le marché)», indique Frédéric Laurent. L’objectif est de « mettre en place une structure publique, sur le modèle de l’Établissement français du sang, qui permettra de produire et distribuer ces préparations hospitalières partout en France, voire en Europe, pour les patients pour lesquels les antibiotiques ne suffisent plus ».

Point de vue

« L’Inde multiplie les innovations, car nous y sommes confrontés aux bactéries les plus résistantes »

Quelle solution thérapeutique développez-vous avec Bugworks ?

Notre start-up travaille sur le développement de BWC0977, un antibiotique à large spectre appartenant à une classe appelée NBTI (Novel Bacterial Topoisomerase Inhibitor). Il s’agit de la première nouvelle classe d’antibiotiques depuis l’introduction des fluoroquinolones dans les années 1960. Le BWC0977 agit en inhibant sélectivement la réplication de l’ADN des bactéries. D’après les premières étapes des essais cliniques, cet antibiotique permettrait de traiter plusieurs infections nosocomiales, notamment les pneumonies causées par des bactéries multirésistantes.

Quels sont les avantages à être basés en Inde ?

L’Inde est l’un des cinq pays les plus touchés par l’antibiorésistance pour de nombreuses raisons : problèmes d’assainissement, manque d’hygiène, hôpitaux surpeuplés et accès sans ordonnance à de nombreux antibiotiques.

Mais c’est aussi un pays qui multiplie les innovations, car nous y sommes confrontés aux bactéries les plus résistantes. Actuellement, deux des antibiotiques les plus prometteurs qui arrivent sur le marché proviennent des sociétés indiennes Wockhardt et Orchid Pharma. Par ailleurs, l’Inde produit plus de 40 % des antibiotiques et 60 % des vaccins distribués dans le monde.

Comment s’organise la lutte contre l’antibiorésistance dans ce pays ?

Depuis quelques années, les autorités prennent ce problème beaucoup plus au sérieux. Un plan national a été lancé en 2017. Il inclut des mesures telles que l’interdiction de l’usage des antibiotiques critiques dans l’élevage. Plusieurs États ont également mis en place des plans d’action et adopté plusieurs lois, destinées à restreindre par exemple l’accès aux antibiotiques sans ordonnance.