Les impacts cachés du numérique

24 juin 2024  | Par Marjorie CESSAC
L'actuariel // Environnement // Les impacts cachés du numérique

Le développement exponentiel du numérique fait surgir autant d’interrogations sur les plans géopolitique, sociétal et environnemental. Quel rapport de force est amené à s’instaurer avec l’accroissement constant des besoins en eau, en métaux et en terres ? Comment agir sur les pollutions directes et indirectes du secteur ? Autant de défis à la portée systémique à relever.

Allié ou ennemi de l’environnement ? Le numérique, à l’instar des métaux nécessaires à la révolution électrique, est invoqué comme une clé de voûte essentielle à la transition climatique. Au gré des progrès des technologies de l’information, les promesses se multiplient à de nombreux niveaux : meilleure anticipation des impacts du changement climatique, modélisations de plus en plus fines sur les questions de gestion du territoire et des activités humaines – des transports à l’urbanisme et l’aménagement, en passant par l’eau, la consommation énergétique ou la sécurité. Mais en l’absence d’une régulation de sa croissance globale, le numérique pourrait bien au contraire devenir un obstacle. Rien qu’en France, selon le rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat publié en 2020, son empreinte carbone pourrait augmenter de 60 % d’ici à 2040 si rien n’est entrepris pour la limiter.

Sur le plan climatique, les grandes études académiques soulignent que la contribution du numérique aux émissions de carbone globales est actuellement comprise entre 1 et 4 % des rejets de CO2. À l’échelle de l’Union européenne, ces émissions seraient de l’ordre de 3 % et de 2,5 % pour la France. «Le plus important à regarder n’est pas forcément cette proportion actuelle, mais plutôt la tendance de ces émissions. Et, depuis juin 2023, la communauté scientifique est plus ou moins arrivée à un consensus : les émissions du secteur augmentent», souligne dans l’un de ses articles Gauthier Rousshile, chercheur au Royal Melbourne Institute of Technology (RMIT), spécialiste des enjeux environnementaux de la numérisation. Si la part la plus importante de l’empreinte carbone du numérique est imputable à la fabrication des équipements, vient en deuxième position la consommation électrique, requise pour faire transiter, stocker et afficher la donnée. Cette dernière est en constante augmentation.

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Points de vue

« L’objectif de réduire de 9 % la consommation électrique des centres de données a bien été atteint »

Pour son plan stratégique 2021-2024, la Banque de France prépare une action en matière de numérique responsable. En quoi consiste-t-elle ?

Cela tient en quatre axes principaux. Primo, nous sensibilisons les agents, au travers de formations, de jeux, de fresque du numérique, à viser la sobriété numérique dans tous leurs usages. Ce sont des actions par exemple autour des mails de l’entreprise, mais aussi, et cela a plus d’impact encore, autour de la gestion des équipements. Deuxio, nous mesurons l’empreinte numérique de la Banque de France, au travers de l’analyse du cycle de vie, et selon l’évolution nous voyons où nous pouvons agir et réduire la consommation matérielle et énergétique, en mettant en place de bonnes pratiques pour allonger la durée de vie des PC, en faisant appel à des brokers pour réemployer et recycler des équipements. Tertio, nous avons intégré en amont de nos projets les pratiques de l’écoconception. Et enfin, nous contribuons activement aux travaux collectifs de l’écosystème, par la participation à différents groupes de travail, le partage de ses expériences et l’élaboration d’éléments de référence pour le bien commun.

Avez-vous déjà noté un effet positif ?

Cette démarche s’inscrit à moyen terme. Je peux d’ores et déjà vous confirmer que l’objectif fixé de réduire, dès 2023, de 9 % la consommation électrique des centres de données par rapport à 2019, a été bien atteint et nous constatons une diminution effective de l’empreinte 2023. De la même manière, nous sommes passés de 3 465 Teq.CO2 d’émission de gaz à effet de serre en 2021 à 2 921 Teq.CO2 pour 2023.

Collaborez-vous avec les autres banques centrales ?

Oui, nous avons d’ailleurs contribué à créer le réseau mondial des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du secteur financier (NGFS en anglais).

Encadré

La France, pionnière dans la régulation du numérique 

L’Arcep a pour mission de réguler, depuis 2022, l’impact environnemental du numérique, exigeant des données des entreprises et pouvant les sanctionner. Par ailleurs, plusieurs lois renforcent la responsabilité des acteurs du secteur.

Depuis le 1er janvier 2022, l’Autorité de régulation des communications électroniques, de postes et de la distribution de la presse (Arcep) s’est vu confier la mission de mener la régulation environnementale du numérique. Elle est en droit de réclamer aux entreprises du secteur des données sur leur impact environnemental. Et de les sanctionner si elles ne le font pas, jusqu’à 3 % de leur chiffre d’affaires mondial, voire 5 % en cas de récidive. Sont concernés les opérateurs de télécoms, mais aussi les groupes de services en ligne, des centres de données et des hébergeurs et autres prestataires de cloud, des fabricants de terminaux, des éditeurs de système d’exploitation.

De leur côté, les opérateurs de téléphonie se sont engagés à mettre en place des actions dans le cadre d’une charte numérique responsable. Et pour cause, alors que les émissions de gaz à effet de serre ont enregistré une baisse générale (-2,7 % en 2022) dans l’Hexagone, celles des opérateurs de télécommunications continuent à augmenter (+ 2 %), relève l’Arcep dans sa dernière étude publiée en mars 2024. Plusieurs lois ont par ailleurs été promulguées à cet effet de régulation. En février 2020, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite AGEC, contraint les opérateurs de télécommunication à fournir à leurs abonnés mobiles «la quantité de données qu’ils ont consommées et leur équivalent en gaz à effet de serre».
Un dispositif qui a été renforcé en novembre 2021 par la promulgation de la loi REEN. Au rang de ses nombreuses dispositions figure notamment l’obligation qui est faite aux communes de plus de 50 000 habitants et aux EPCI à fiscalité propre regroupant plus de 50 000 habitants de définir, au plus tard le 1er janvier 2025, une stratégie numérique responsable.

Enfin, par le biais de la loi Climat et Résilience, l’État français demande à tout secteur d’activité d’expérimenter d’ici au 1erjanvier 2025 sur la base du volontariat l’équivalent d’un nutriscore pour un site web ou un ordinateur. «Ces lois ont été conçues de sorte que d’ici à 2 ou 3 ans, elles soient étendues à toutes les grandes entreprises et toutes les communes, comme cela a été le cas avec le bilan de gaz à effet de serre après la loi Grenelle 2», explique Frédéric Bordage, un des fondateurs de GreenIT.fr, un collectif d’experts sur la sobriété numérique et le numérique responsable. À son sens, «depuis 2 ou 3 ans, on observe une forme de basculement avec de plus en plus d’acteurs privés et publics qui mettent en place des analyses standard du cycle de vie (ACV)». Cette stratégie hexagonale en matière de mesure de l’empreinte carbone reste relativement pionnière dans le monde. Même si, pour l’heure, ces mesures ont davantage une visée informationnelle que réellement coercitive. Reste que si les usages continuent de progresser au rythme actuel, à horizon 2030 par rapport à 2020, «le trafic de données serait multiplié par 6 et le nombre d’équipements serait supérieur de près de 65%, notamment du fait de l’essor des objets connectés», estime l’Arcep dans l’évaluation prospective publiée avec l’Ademe en mars 2023.