– Avril 2050 –
En 2050, le site Life+ propose à chacun de connaître la date probable de son décès. Pour ceux qui accèdent à l’information et modulent leur vie en conséquence, quelques avantages en découlent…
« Quelle belle soirée, qu’est-ce qu’on a ri, n’est-ce pas, chérie ? » Dans l’ascenseur qui les ramène chez eux, Nils Martin époussette tendrement le confetti égaré dans la chevelure pourpre de Jenny. Bien calée dans son fauteuil, sa compagne hoche la tête, encore tout étourdie du bruit de la fête. Ce soir, ils ont dit adieu à Kamran, leur vieil ami et voisin du 12e étage. À 90 ans, celui-ci, prévenu de sa mort à moins de six mois, a tenu à organiser une Mourning Party d’enfer, des « living funerals » avec projection d’holo-souvenirs et diffusion à plein tube des musiques du siècle dernier – Nils s’est déboîté la hanche sur « Self Esteem » et « Antisocial ». En ce moment, les fêtes pré-deuil sont à la mode chez les anciens. Ces funérailles avant l’heure mêlent les adieux à la famille, aux amis, et se veulent un remerciement général à la vie, un feu d’artifice de joie avant de tirer sa révérence. En 2050, l’espérance de vie générale à la naissance en France est de 84,3 ans pour les hommes, de 91 ans pour les femmes. Il n’est pas rare de croiser des centenaires, avant peut-être d’en devenir un soi-même. Les amis de Nils et Jenny, la plupart entre 55 et 75 ans, oscillent entre l’attitude qui consiste à tout savoir pour prévoir jusqu’au moindre détail de la fin de vie et de l’après, et le « je regarde ailleurs et je profite au maximum tant que je suis bien ». Cela fait longtemps que les risques de mortalité d’une population donnée sont connus. La nouveauté, c’est que la collecte généralisée des informations les plus intimes par voie numérique, associée à un assouplissement des réglementations sur la protection en la matière, a favorisé l’agrégation de ces données et, ainsi, le calcul de plus en plus précis de la date de mort probable de chacun. Chacun y a désormais accès d’un simple swipe.