Risques systémiques et d’assurance de long terme : l’actuariat à la recherche de réponses durables pour le secteur et ses acteurs

1 octobre 2024  | Par Stéphane LOISEL
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L’initiative de recherche « Actuariat durable, Risques Climatiques et Stabilité du secteur de l’assurance à long terme » a pour thème phare la prise en compte des risques climatiques sur les risques d’assurance et finance. Présentation.

Qu’est-ce que cette initiative de recherche ?

Le but de l’initiative de recherche « Actuariat durable, Risques Climatiques et Stabilité du secteur de l’assurance à long terme » est de favoriser la recherche sur des problématiques actuarielles d’actualité, portant sur des thématiques d’assurance ayant un lien avec le développement durable et la stabilité financière. Cette initiative de recherche est financée par Milliman Paris, dans le cadre d’une convention de mécénat avec la Fondation du risque, au sein de l’Institut Louis Bachelier.

Là où le pragmatisme conduit à produire des analyses de risques sur des horizons d’un à cinq ans dans un cadre très simplifié, en négligeant parfois certaines sources de risque ou de corrélation entre les risques, les travaux menés dans le cadre de cette initiative de recherche visent à mieux cerner les risques potentiellement dangereux pour une compagnie d’assurance et pour le secteur d’activité en général, sur des horizons de temps courts, comme sur des horizons de gestion de plus long terme.

Le thème phare de cette initiative recherche est la prise en compte des risques climatiques sur les risques d’assurance et finance, notamment pour ce qui concerne les risques biométriques en assurance. Les autres thématiques prioritaires de l’initiative de recherche concernent la durabilité et le temps long, plus généralement pour les secteurs de l’assurance et des retraites, la détection rapide de changements nécessitant une mise à jour des hypothèses actuarielles, ainsi que l’intelligence artificielle générative pour la validation des modèles actuariels et l’intelligence artificielle de confiance, incluant la transparence, la robustesse et l’équité des algorithmes utilisés en assurance et gestion des risques.

La matinée Actuariat durable du 4 juin 2024

L’initiative de recherche permet également de soutenir la diffusion et la dissémination des travaux de recherche de la chaire et des avancées scientifiques aux professionnels et académiques, ainsi qu’au grand public par différents moyens : l’organisation de conférences, la présentation d’articles de recherches dans les conférences internationales, l’organisation et la participation à des ateliers dans les événements actuariels, la participation à des groupes de travail internationaux, mais aussi le processus de relecture d’ouvrages de référence, le développement de nouveaux cours et la diffusion auprès du grand public de concepts et de théorèmes de mathématiques actuarielles et de gestion des risques grâce à une médiation scientifique basée sur la danse contemporaine.

La thématique de l’IA de confiance pour l’assurance a été notamment abordée lors de la dernière matinée de l’initiative de recherche qui s’est tenue le 4 juin 2024 au Cnam (programme en encadré, détails et documents sur le site de l’initiative de recherche), lors de laquelle Gilbert Saporta (professeur émérite au Cnam) a exposé les liens entre équité, interprétabilité et explicabilité des algorithmes et Aurélien Couloumy a présenté un retour d’expérience sur les exigences de confiance dans l’utilisation des grands modèles de langage pour des applications assurantielles, ainsi que lors de la journée Mathematical Foundations of AI organisée par SCAI (Sorbonne Université) le 12 septembre 2024. Lors de cette journée, Stéphane Loisel a présenté des travaux en cours sur la détection de ruptures en univers multivarié et Arthur Charpentier (UQAM, Montréal) a présenté des résultats sur l’équité et la discrimination dans les algorithmes d’assurance, sujet sur lequel il avait écrit une monographie pour l’Institut Louis Bachelier. L’équipe de la chaire (Stéphane Loisel en tant qu’éditeur associé de la collection Springer Actuarial et Fanny Pouget (Milliman) en tant que relectrice) a soutenu l’effort important fourni par Arthur Charpentier pour transformer et compléter sa monographie en un livre intitulé Insurance, biases, discrimination and fairness. L’équipe de la chaire soutient également sur ce sujet les activités d’enseignement : François Hu (Milliman) intervient ainsi sur le sujet de l’équité dans les algorithmes d’assurance dans le nouveau cours d’Actuariat Contemporain du Cnam, qui contribue à diffuser les dernières avancées actuarielles en matière de data science, de changement climatique et de durabilité aux actuaires et professionnels du secteur. Les membres de l’équipe de la chaire sont régulièrement invités à présenter leurs travaux dans les conférences internationales (par exemple conférences MAF2024 au Havre, conférence EAJ2024 à Lisbonne, conférence de l’actuariat francophone 2024, conférence Longevity 19 à Amsterdam…).

Un atelier sur la construction de scénarios climatiques pour les risques biométriques a été présenté lors du Congrès des actuaires de 2024 par Stéphane Loisel, Adeline Stephan (Guy Carpenter), Eve Titon (Milliman) et Rayane Vigneron (LSAF). Cet exemple illustre une des forces singulières de l’initiative de recherche : il y a une réelle collaboration recherche entre les académiques et les membres de la cellule R&D du mécène, qui participent pleinement aux activités de recherche et de diffusion.

Les membres de la chaire participent à des groupes de travail de l’Institut des actuaires, et Stéphane Loisel est membre du groupe de travail Sustainability and Climate Change related Risks (SCCR) de l’Association actuarielle européenne (AAE), ce qui permet de confronter les dernières avancées de recherche aux meilleures pratiques et sujets de discussions à l’international.

L’initiative de recherche soutient également les activités de médiation scientifique, qui permettent de mieux faire connaître l’actuariat au grand public. À l’occasion de sa leçon inaugurale, Stéphane Loisel a dévoilé quelques extraits de vidéos de danse contemporaine et tissu aérien chorégraphiés et réalisés par Juliette Alescio et Roxane Brac de la Perrière, qui permettent de vulgariser les concepts de processus stochastiques utilisés en actuariat (processus de Poisson et de Hawkes, changement de régime et mouvement brownien), ainsi que certains impacts du changement climatique en assurance. Ces chorégraphies réalisées devant le pendule de Foucault au Cnam et à Lyon, ainsi que des pilotes tournés sur les pentes d’un célèbre volcan pour illustrer des théorèmes de prévention optimale en théorie du risque seront édités et diffusés en partenariat avec l’Institut Louis Bachelier et l’Institut des actuaires. D’autres vidéos de danse contemporaine sont prévues en 2025, notamment au Brésil et en Afrique subsaharienne avec la participation d’actuaires français installés sur place et d’actuaires locaux qui montreront la diversité des risques et des attitudes face au risque dans différentes régions du monde.

Deux exemples de publications résumées

Dans l’article « Alimoradian, B., Jakubiak, J., Loisel, S., & Salhi, Y. (2024). Risk assessment for synthetic GICs: a quantitative framework for asset–liability management. Decisions in Economics and Finance, 1-28. », les auteurs fournissent une première modélisation quantitative et analyse de scénarios pour la gestion des risques des fonds dits stable value, un segment crucial du marché financier américain avec plus de 400 milliards de dollars d’actifs, pour lesquels les assureurs fournissent une garantie de dernier recours en cas de manque de disponibilité des fonds (due à une différence trop importante entre les market value et book valueau moment où les « derniers » participants cherchent à effectuer leurs retraits). Dans cet article, les auteurs présentent un modèle actif-passif qui englobe une approche innovante de modélisation des actifs des fonds à revenu fixe couplée à un modèle de passif soutenu par une analyse empirique sur un ensemble de données unique couvrant 80 % du marché des promoteurs de régimes autonomes, en contraste avec les modèles basés uniquement sur des flux de trésorerie déterministes réguliers et des différences de taux d’intérêt. L’approche permet d’identifier et d’analyser deux scénarios de risque critiques du point de vue de l’assureur : l’inflation, et la hausse des rendements avec retour à la moyenne. En suivant cette approche, les auteurs démontrent que le risque extrême des fonds de placement, utilisé comme mesure du capital économique, est sensible aux paramètres caractéristiques du fonds, tels que la durée, la composition du portefeuille et la qualité de crédit des actifs. Ce résultat diffère considérablement des approches réglementaires américaines telles que celle de la NAIC, qui aboutissent souvent à une exigence de capital nulle. Ces résultats révèlent les limites des mesures actuelles de risque actuariel et de rentabilité des assureurs américains et soutiennent qu’un modèle de risque plus sophistiqué reproduisant les deux scénarios critiques est nécessaire. Un des messages clés de cet article est que le risque global peut être d’un côté très faible lorsqu’un seul facteur de risque se matérialise ou lorsque deux facteurs de risque se matérialisent simultanément, et d’un autre côté beaucoup plus important si les deux facteurs de risque se matérialisent avec un décalage dans le temps. L’importance de la prise en compte de l’aspect dynamique des scénarios d’évolution des facteurs de risque clés (trop souvent résumé à une valeur finale ou à une moyenne sur une durée de plusieurs années) est ainsi mise en valeur dans ce graphique qui montre en gris des phénomènes de retraits pendant certains mois, en bleu le rendement du fonds et en rouge le déficit de valeur de marché. Lorsque les retraits massifs sont concentrés au mauvais moment (et c’est pire si cela se produit avec quelques mois d’écart), ce qui est le cas dans le graphique 1 (ci-dessous), le déficit de valeur de marché (en rouge) est bien plus important qu’en présence de retraits importants réguliers (grahique 2 ci-dessous). Le fait de négliger cet aspect temporel est probablement une des raisons de la sous-estimation du risque par les approches traditionnelles rencontrées chez certains acteurs du marché.

Dans l’article « Gaba, G., Loisel, S., & Parent, A. (2024). Cliometrics and Actuarial Science: New Avenues for Enriching Prospective Mortality Table Construction Models. In Mathematical and Statistical Methods for Actuarial Sciences and Finance (pp. 179-185). Springer Nature Switzerland », les auteurs expliquent comment des méthodes et concepts de cliométrie (histoire quantitative) peuvent être utiles en actuariat. En effet, lorsqu’on souhaite construire des tables de mortalité pour des populations dans un contexte de transition (démographique mais aussi économique, ou plus générale), il peut être intéressant d’utiliser une population de référence qui a effectué une transition du même type quelques décennies auparavant, en tenant compte du fait que les transitions peuvent devenir de plus en plus rapides ou changer de forme au cours du temps. Cet article précède un autre article en cours de finalisation sur les applications concrètes à la construction de tables de mortalité en présence de transition. Un objectif futur de recherche de cette ligne de recherche consiste à adapter les méthodes cliométriques utilisées dans ces premiers travaux au contexte de transition écologique et climatique, la difficulté majeure étant bien sûr qu’on ne dispose pas de pays en avance de phase qui aurait traversé la période de changement climatique quelques décennies avant les autres, et qu’il convient donc de travailler sur la base de plusieurs scénarios, tant en termes d’évolution de la longévité au global qu’en termes de migrations.

Encadré

Deux prépublications en lien avec l’atelier sur la construction de scénarios climatiques pour les risques biométriques

  • Dans la prépublication « Desirable characteristics of climate change scenarios for biometric risks in life insurance », Stéphane Loisel, Adeline Stephan, Eve Titon et Rayane Vigneron proposent des caractéristiques souhaitables pour les scénarios d’impact du changement climatique sur les risques biométriques pour l’assurance de personnes. Dans le contexte des exercices pilotes de stress tests climatiques proposés par l’ACPR en 2020 et 2023, les auteurs s’intéressent aux maladies vectorielles (et en particulier la dengue) et aux vagues de chaleur. Six recommandations pour la construction de scénarios climatiques sont proposées. Comme pour le travail sur les garanties stable value mentionné précédemment, la prise en compte d’événements combinés est essentielle pour la bonne identification et mesure du risque. C’est par exemple le cas pour les vagues de chaleur, qui vont se muer d’événements ponctuels en circonstances permanentes pendant les mois d’été, avec pour conséquence de transformer toute panne d’électricité massive survenant l’été en vague de chaleur d’amplitude démultipliée.
  • Dans la prépublication « Quickest detection from an ERM point of view », Karim Barigou, Nicole El Karoui, Stéphane Loisel et Yahia Salhi explorent la manière d’utiliser, de calibrer et de compléter les approches de détection rapide de rupture basées sur le processus des sommes cumulées. Cette stratégie de détection, dont El Karoui, Loisel et Salhi (2017) ont démontré l’optimalité pour des processus ponctuels assez généraux pour un critère de type Lorden généralisé, nécessite la fixation de deux paramètres. Les auteurs proposent de le déterminer à partir de l’appétence au risque et du niveau d’acceptation des fausses alarmes. L’article fait le lien avec les attitudes face au risque et les perceptions du risque qui peuvent conduire à des interprétations très différentes de l’indicateur de risque dynamique à la frontière entre les signaux faibles et les key risk indicators plus robustes. Cet article complète un travail sur l’application des méthodes de l’article de 2017 aux processus de dynamique de population pour la surveillance des risques de mortalité ou de longévité, en lien avec un projet de recherche financé par le fonds AXA pour la recherche.
Note

Les conférences de la matinée Actuariat durable du 4 juin 2024 (détails et documents associés sur le site de l’initiative de recherche) :

  • Explorer les liens entre équité, explicabilité et interprétabilité (Gilbert Saporta)
  • Mise en œuvre opérationnelle de stratégies de remédiation de l’équité en assurance (Gabriel Fauchet et François Hu)
  • Retours d’expérience sur les exigences de confiance dans l’utilisation des grands modèles de langage pour des applications assurancielles (Aurélien Couloumy)
  • Naviguer entre outils externes et développements internes pour la mise en place d’une IA de confiance dans l’entreprise (Kelly Amzallag et Adel Cherchali)
Note

  • Stéphane Loisel, Actuaire agrégé IA, professeur du Cnam, titulaire de la chaire actuariat et science du risque

  • Alexandre Boumezoued, Actuaire associé IA, principal, directeur R&D, Milliman

 

 

 

  • Mercedes Claramunt, Professeure à l’université de Barcelone et co-responsable de l’observatoire européen des pensions

  • Aurélien Couloumy, Actuaire certifié IA, directeur et cofondateur de Novaa Tech

 

 

 

 

  • Kué Gilles Gaba, Managing Director, actuaire associé IA ActuariaTech, chercheur associé, Laboratoire de Sciences Actuarielle et Financière

 

 

 

  • Julien Vedani, Actuaire certifié IA Consultant R&D, PhD, Milliman

 

 

 

 

 

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