5 défis pour la profession actuarielle

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Le 30 mai dernier, l’association professionnelle des actuaires a renouvelé la moitié de son Conseil d’administration. Laurence Bauduin est réélue Présidente, et portera avec la nouvelle équipe des objectifs toujours ambitieux pour l’Institut des actuaires, alors que la profession est au cœur des enjeux.

La campagne – c’est inédit – avait fortement mobilisé le mouvement actuariel. L’élection, prévue par ses statuts, de 10 nouveaux administrateurs de l’Institut des actuaires, a motivé une participation record. Deux signes du dynamisme de l’association, et l’occasion de mesurer, au travers des propositions portées par les listes en lice, l’ampleur des travaux à poursuivre ou engager. Autour d’un consensus renouvelé, la gouvernance de l’Institut des actuaires est face à des défis structurants.

1. Durabilité

L’Institut des actuaires en avait fait le thème central de son 22 e Congrès dès 2023. La durabilité était à nouveau au cœur des préoccupations lors de l’édition 2024, le 30 mai dernier, qui a réuni un nombre sans précédent de participants autour du thème « Risques émergents, risques durables : piloter les transitions ». Animée par L’Actuariel, la table-ronde des dirigeants réunissant les directeurs généraux de quatre grands acteurs de la Place (CCR, CNP Assurances, Groupama et le Groupe VyV) a proposé un aperçu très concret des attentes adressées aux actuaires : améliorer la quantité et la qualité des données et de leur analyse, faire évoluer les modèles pour les adapter aux chocs en conservant leur robustesse, contribuer à l’adaptation de certains régimes particulièrement menacés par le changement climatique… Et, de plus en plus, protéger l’idée même de mutualisation et repousser les limites de l’assurabilité. Le sujet n’est plus tabou, en assurance de biens comme de personnes.

Dans ce contexte à forts enjeux pour l’ensemble du secteur, la nature transversale des problématiques liées à la durabilité peut mobiliser les compétences et expertises actuarielles dans les activités de modélisation comme de gestion, d’investissement, de reporting, parfois même de communication institutionnelle voire grand public. « En veillant à l’excellence académique et professionnelle de ses membres, en soutenant la recherche, en favorisant l’interdisciplinarité, l’Institut des actuaires entend permettre à ses membres d’accompagner les transitions qui s’imposent dans un monde où l’incertitude ne doit pas conduire à une prise de décision erratique, a rappelé Laurence Bauduin, sa Présidente, lors de sa réélection. Les actuaires, parce qu’ils interviennent sur l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises de la Place, défendent l’intérêt général et le long terme, et savent mobiliser aussi bien des approches scientifiques de haut niveau qu’une forte capacité d’innovation, sont appelés à « éclairer les risques, tracer l’avenir » pour relever les défis du secteur assurantiel et financier. Ils y sont prêts. » Pour l’Institut des actuaires, qui organise et représente la profession en France et à l’international, l’enjeu est double. D’une part, mettre à portée de ses propres membres les outils nécessaires à l’accompagnement des transitions dans leurs métiers et organisations. D’autre part, remplir pleinement son rôle d’institution de référence auprès des décideurs, public et privés, avec son approche particulière d’association reconnue d’utilité publique. Comprendre : veiller à ce que l’intérêt général de long terme soit au cœur de la décision, où qu’elle soit prise.

2. International

L’Institut des actuaires est membre de l’Association actuarielle internationale (AAI) et de l’Association actuarielle européenne (AAE). L’actuariat est structuré à l’échelle européenne et mondiale, partageant notamment un core syllabus et des accords de reconnaissance mutuelle qui permettent aux actuaires des associations membres de faire valoir leurs qualités professionnelles où qu’ils exercent. 10 % environ des membres de l’Institut des actuaires travaillent ainsi hors de France. Mais les enjeux de structuration de la profession, autour des standards actuariels par exemple, ou les besoins de contributions aux évolutions réglementaires, appellent également des prises de position à l’international. Assurer la reconnaissance de l’actuariat français au-delà de nos frontières concourt ainsi à deux objectifs principaux : apporter aux actuaires français cette garantie d’être « fit and proper » et au niveau attendu internationalement, et défendre les positions françaises vis-à-vis des différentes parties prenantes. Soit, à l’échelle européenne, auprès de l’EIOPA, l’EFRAG ou de la Commission européenne par exemple ; et au niveau de l’AAI, auprès des organismes supra-nationaux (IAIS, OCDE…), afin de promouvoir la profession, ses standards et sa recherche.

« Par l’engagement de ses représentants, l’Institut des actuaires assure une présence continue dans les délégations et comités, à l’AAE comme à l’AAI, et contribue ainsi activement à façonner notre profession et à valoriser ses expertises auprès des différentes parties prenantes, explique Matthias Pillaudin, actuaire certifié IA, administrateur de l’Institut des actuaires et membre de sa Commission Normes et International, board member de l’Association actuarielle européenne. Avec l’un des plus importants contingents d’actuaires au niveau européen, l’Institut des actuaires, via l’AAE et l’AAI, a un impact réel sur les évolutions réglementaires et les transformations sociétales, en Europe et dans le monde. »

L’Institut des actuaires et son homologue allemand la DAV sont ainsi partenaires dans la Young Actuaries Initiative, le club des jeunes actuaires européens. Au programme : renforcer les interactions des associations actuarielles avec les jeunes professionnels, mettre en valeur les talents de demain sur des sujets d’actualité, échanger des bonnes pratiques, renforcer les liens transfrontaliers des jeunes actuaires par l’organisation d’événements conjoints. Il organise aussi le Colloque International de l’Actuariat Francophone, qui a réuni l’an passé plus de 1 600 participants sur une semaine, et dont la 4e édition est prévue en septembre prochain.

3. Employabilité

L’édition 2023 de l’« Observatoire de la rémunération et du métier d’actuaire» (voir L’Actuariel 52) l’a confirmé : l’actuariat recrute, avec des salaires à l’embauche très attractifs (de 40 à 60k € en moyenne), qui progressent fortement et régulièrement tout au long de la carrière. Près de la moitié des actuaires exercent des fonctions de management, et plus de 20 % des fonctions de direction. Un peu moins d’un tiers envisagent une mobilité géographique, dont la moitié vers l’étranger et 4 actuaires sur 10 ont un double diplôme. Des résultats qui montrent bien la solidité des parcours professionnels mais n’occultent pas la nécessité d’accompagner les actuaires dans les transitions à venir.

Précurseur, l’Institut des actuaires a mis en place depuis plus de dix ans un système de Perfectionnement professionnel continu (PPC), permettant une validation annuelle du statut d’actuaire certifié – conforme aux exigences internationales – par l’obtention de points acquis notamment par la formation continue. Un double enjeu subsiste : inciter les actuaires non encore certifiés (un peu moins de la moitié des membres de l’Institut) à compléter leur cursus initial par l’obtention et la conservation de ce statut ; et pour cela, mettre à leur disposition formations et activités actuarielles permettant une mise à niveau constante de leurs compétences. Sont visées aussi bien les compétences techniques que les soft skills, l’évolution des métiers s’observant prioritairement dans deux directions : intégration des ruptures technologiques – données massives et leurs usages, IA, blockchain, etc. –, voire de nouveaux métiers, et responsabilités accrues.

S’il propose, au travers de sa filiale formation l’Institut du Risk Management, des formations adaptées aux besoins métiers, l’Institut des actuaires accompagne aussi ses membres au travers de clubs et de communautés dédiés, qu’il anime et/ou soutient. C’est le cas par exemple du Club des actuaires en finance, du Club des administrateurs, ou encore du Club des directeurs techniques Vie. Entre autres actions, le réseau mixte Actu’Elles développe le mentoring, pour favoriser le lien entre les générations d’actuaires, ainsi que les formations soft skills. Le Club Jeunes Actuaires, lui, est à l’œuvre pour répondre aux besoins spécifiques des membres de moins de 35 ans, soit en début de carrière. « Face aux enjeux majeurs d’un monde plus incertain et imprévisible, renforcer les parcours professionnels, accompagner les mobilités notamment à l’international, encourager la diversité et l’interdisciplinarité, mais aussi développer de nouvelles initiatives d’employabilité des actuaires feront partie des objectifs des années à venir », complète Anani Olympio, Ph.D, actuaire certifié IA expert ERM CERA, administrateur de l’Institut des actuaires. Qui évoque aussi le projet de mettre en place un système de mentoring inversé pour favoriser le lien entre générations d’actuaires.

4. Recherche

Comme toute profession scientifique, l’actuariat est une discipline vivante. En un peu moins d’un siècle et demi d’existence (l’Association actuarielle internationale a été fondée en 1885, l’Institut des actuaires en 1890), il est sorti du seul champ de l’assurance vie pour s’appliquer également aux activités non-vie, développées dans le courant du XXe siècle, puis financières, dans le dernier quart de ce dernier. L’ère du « Big Data » qui émerge au début des années 2010, a accéléré les besoins de professionnels qualifiés et d’outils, tant pour la collecte que pour l’analyse de ces données et leur emploi. Les actuaires se sont imposés comme des acteurs à part entière de cette nouvelle donne. La multiplication et l’accélération de nouveaux risques agit de même : pour chacun, la capacité de détection, de collecte, de traitement, de vérification et d’usage – raisonné – des informations disponibles est clé. En jeu pour les actuaires, et plus généralement le secteur assurantiel et financier : l’amélioration de la performance globale servie au client final, en aval, et en amont, l’irrigation de la prise de décision par des expertises aussi robustes que pointues, y compris sur des sujets récents ou soumis à de fortes incertitudes.

Au-delà de l’appropriation de techniques nouvelles, la recherche actuarielle voit donc s’ouvrir de nouveaux champs, particulièrement avec les problématiques liées au changement climatique et aux ruptures technologiques « massives » (data, IA, cyber, etc.). Repousser les limites de l’assurabilité des risques, contribuer au « verdissement » du secteur et à sa durabilité, veiller aux aspects éthiques des nouvelles opportunités, sont autant de défis à relever. « L’Institut des actuaires soutient la recherche actuarielle, en promouvant le développement et la visibilité de projets de recherche comme les chaires, en s’impliquant dans les initiatives ambitieuses et pluridisciplinaires comme la fondation PARC (Paris Agreement Research Commons) sur la finance durable et l’adaptation au changement climatique, dont il est membre fondateur, ou encore en soutenant les Prix qui récompensent thèses et mémoires de fin d’études innovants, détaille Olivier Lopez, actuaire agrégé IA, secrétaire général de l’Institut des actuaires. Il permet aussi, via des conférences et événements, la diffusion de la science actuarielle au sein du mouvement, en France et à l’international. L’Institut est un point de rencontre entre le monde académique et les milieux économiques, industriels, les pouvoirs publics. Il assure la diffusion et la stimulation d’innovations utiles à l’intérêt général, et contribue par ce biais à la mise à jour des compétences de ses membres. » Objectif donc : poursuivre et intensifier cet effort, structurant pour la profession comme pour notre avenir commun.

5. Développement

S’il a conforté au cours de la dernière décennie son rôle d’interlocuteur de référence des pouvoirs publics et organismes de Place, l’Institut des actuaires, association reconnue d’utilité publique (RUP), doit poursuivre son propre développement pour remplir cette mission, dont la nécessité croît avec les enjeux. Il doit aussi accroître ses capacités pour continuer à améliorer le service qu’il rend à ses membres, dont le nombre augmente chaque année. En d’autres termes, adapter son organisation à des exigences, externes comme internes, qui se renforcent. Plusieurs chantiers d’envergure se poursuivent ou s’annoncent donc pour la nouvelle équipe. Déjà engagées, la finalisation de l’adoption des nouveaux statuts de l’association, adoptés par son Assemblée générale mixte (AGM) en mars dernier, actuellement en attente d’approbation par le Conseil d’État, et la poursuite de l’intégration d’une nouvelle filière (Institut du Risque et de l’Assurance, Université du Mans), validée par la même AGM – une première depuis deux décennies. Toujours nécessaire, surtout en pleine crise des vocations scientifiques, particulièrement marquée chez les jeunes filles depuis la réforme de l’enseignement des mathématiques, la promotion des métiers et carrières offerts par l’actuariat auprès de jeunes publics, étudiants voire lycéens. L’enjeu ici est double : attirer les meilleurs profils et assurer la diversité au sein du mouvement actuariel, qui peut déjà se promouvoir d’une Charte sur l’égalité Femme/Homme adoptée en 2021.

« L’Institut des actuaires doit poursuivre ses efforts d’ouverture et de valorisation de la profession auprès des jeunes, et soutenir en cela les filières de formation qu’il reconnaît, de manière à contribuer à l’enrichissement constant du mouvement actuariel par de nouveaux talents motivés par l’intérêt général », précise Simon Le Dily, actuaire certifié IA, vice-président de l’Institut des actuaires. Ou comment mettre l’excellence au service du bien commun ? Par temps d’incertitudes, l’Institut des actuaires voit renforcer son rôle sociétal et la nécessité d’apporter au débat public l’expertise d’un actuariat de qualité, rigoureux dans ses normes et pratiques et respectueux d’un code de déontologie, innovant, engagé. Il peut en cela compter sur plus de 5 200 membres en 2024, qu’il lui appartiendra d’encourager à apporter leurs contributions, par exemple en poursuivant la dynamisation de la vie actuarielle locale. Toutes bénévoles, ces dernières constituent la richesse de l’Institut des actuaires, et participent à son rayonnement, pour une meilleure intelligence collective du risque.

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