« La MAIF n’a pas fait le pari du regroupement »
Nicolas BOUDINET, Directeur général adjoint de la MAIF, en charge de la stratégie du groupe
« La MAIF n’a pas fait le pari du regroupement »
Quel est votre regard sur les regroupements qui s’opèrent dans le secteur des mutuelles ?
Nicolas Boudinet : Il faut distinguer deux marchés : celui des mutuelles santé, très atomisé et qui est dans un mouvement de concentration très fort, et celui des mutuelles d’assurances dommages, qui a déjà connu des regroupements. Dans tous les cas, la pression réglementaire et la recherche de la taille critique a rendu les rapprochements inévitables. Aujourd’hui, nous sommes aussi sur un marché qui peut être attaqué par d’autres acteurs et qui se rétrécit ou va se rétrécir, du fait de la diminution de la masse assurable liée à l’émergence de la voiture connectée par exemple. Il faut donc trouver de nouveaux relais de croissance. Le choix a été fait par certains d’un regroupement, pour aller chercher des effets de taille et devenir des industriels de l’assurance, y compris en se mettant derrière des gros opérateurs type Amazon ou Google, qui vont chercher des partenaires.
Tel n’est pas votre choix à la MAIF ?
N. Boudinet : Pas à ce stade en effet. Nous pensons que trouver de nouvelles activités passe par le fait d’avoir une marque forte. C’est le pari que nous avons fait. Et nous croyons que les raisons pour lesquelles nous sommes reconnus sur notre métier d’assureur aujourd’hui peuvent nous permettre de développer d’autres activités demain. Dans ce contexte, nous pensons pouvoir cheminer seuls sans chercher forcément à fusionner avec d’autres.
Ne passez-vous pas à côté d’opportunités de développement ?
N. Boudinet : Clairement non. Les rapprochements sont souvent des opérations complexes, qui prennent beaucoup de temps et d’énergie là où nous avons besoin d’aller vite et de concentrer nos forces sur l’exécution de nos projets. Nous sommes convaincus que, dans la période que nous vivons aujourd’hui, l’agilité est un atout majeur et que la taille ne protège pas. Évidemment, ça ne veut pas dire que nous n’allons pas travailler avec d’autres acteurs à travers des partenariats, au contraire.
Comment, dans ces conditions, allez-vous adresser les enjeux actuels de votre secteur ?
N. Boudinet : Nos axes d’innovation et de développement vont vers les nouveaux services, soit connexes à l’assurance, soit plus lointains.Par exemple, nous venons de sortir une application, Nestor, destinée à la gestion budgétaire. Pour les clients multibancarisés, l’application permet d’agréger tous les comptes bancaires et de donner une vision globale de sa situation financière au client, ce qui l’aide à mieux gérer son épargne et son patrimoine.
Nous avons été l’un des premiers à sortir ce type d’outil sur le marché. Parmi les sujets plus lointains, on peut aussi envisager le développement de services aux entreprises dans le domaine de la formation professionnelle, par exemple, ou imaginer d’aller jusqu’à une assurance « employabilité ». C’est un projet que nous avons évoqué avec certains grands comptes, et il a été très bien accueilli.
Ne perdez-vous pas en légitimité en allant sur ce terrain-là ?
N. Boudinet : Aujourd’hui, l’employabilité est un véritable enjeu de nos sociétés. Parallèlement, nous nous sommes rendu compte qu’on nous demande de plus en plus de développer des outils dans le domaine de l’éducation et de la formation. Pour ce qui est de la légitimité, pour nous MAIF, mutuelle des instituteurs à l’origine, l’éducation et la formation sont au cœur de notre ADN.
Quels sont vos projets sur les terrains plus traditionnels ?
N. Boudinet : Nous pouvons aussi développer des partenariats classiques et historiques comme celui que nous avons avec la MGEN et d’autres mutuelles autour d’Inter Mutuelles Assistance, notre filiale commune. On peut faire de belles choses sans bouleverser la gouvernance des mutuelles.
Quid de l’essor des assurtechs ?
N. Boudinet : Au travers d’Altima, notre filiale d’innovation, nous avons lancé plusieurs initiatives très indépendantes dans ce domaine ; par exemple des partenariats avec des start-up qui font de l’évaluation de biens. Cela dit, notre conviction est que l’innovation vient aussi du contact avec le marché. Quand on a une idée, on se lance, on la met en œuvre et on voit ce que cela donne.
Mutuelle : un beau terrain de jeu pour les actuaires
La transformation des mutuelles et leurs nouveaux enjeux lancent autant de défis aux actuaires. Modélisation de pilotage des risques, construction de produits, les opportunités sont nombreuses.
Des enjeux techniques et business, des produits et des services à inventer, des structures de gouvernance à mettre en place et un pilotage des risques à construire : de toute évidence, les regroupements et les évolutions qui interviennent dans le secteur des mutuelles ouvrent un « magnifique terrain de jeu aux actuaires », comme le note Emmanuel Roux, directeurs général d’Aesio. « Je dirais que nos modèles économiques sont en pleine mutation, du point de vue de l’IARD, des projets autour des objets connectés et de la voiture autonome. Sur le plan du suivi des marges techniques, cela modifie complètement la donne. Tout cela permet de positionner l’actuariat comme une fonction partenaire du développement. » « Les rapprochements vont dans le bon sens pour les actuaires du point de vue de leur spectre d’action, affirme François Beugin, chez PwC. On va vraiment vers la notion d’actuaire augmenté. »
Les projets de fusion eux-mêmes nécessitent une expertise actuarielle pointue. « Les actuaires jouent déjà un rôle intéressant lors de la création des groupes prudentiels, note Marie-Laure Dreyfuss, chez Actuaris. Il y a des seuils techniques de solidarité financière à mettre en place et il faut des actuaires pour les tester. Pour l’ACPR, il faut construire un dossier avec les équipes prudentielles. » Dans la mesure où chaque groupe se construit « au cas par cas », en fonction des entités préexistantes, « il faut parfois inventer ce que signifie le pilotage actuariel dans ce genre d’entreprise, ajoute Adrien Couret, à la Macif. Et il va se créer des pilotages transversaux. C’est un sujet qui monte et qui contribue à l’intérêt croissant que représente le secteur mutualiste pour les actuaires. »
Au-delà des enjeux strictement prudentiels, les actuaires peuvent apporter leur expertise dans l’élaboration de nouveaux produits et services. « Quel est le secteur d’activité aujourd’hui où les investissements vont être plus conséquents ? », s’interroge Jean-François Poletti, associé conseil assurance chez Deloitte. Des investissements qui laissent entrevoir de larges perspectives. Utilisation des données de santé, e-santé, création de nouveaux business models digitalisés, développements autour de l’accompagnement, du bien-être et de la prévention, les thématiques ne manquent pas, particulièrement pour les professionnels formés à l’utilisation de la data. D’ailleurs, regrette Isabelle Hébert, à la MGEN, « il n’y a pas énormément d’actuaires qui s’intéressent au risque santé et aux données de santé, alors que c’est un champ énorme qui s’ouvre ». Les compétences des actuaires en modélisation mathématique seraient également très utiles dans les biotechs ou la e-santé.
Tous ces nouveaux domaines constituent encore une opportunité supplémentaire pour la profession. À l’heure où le système de protection sociale évolue, et pas toujours dans le bon sens, « il faut aussi mieux comprendre les comportements des assurés pour mieux les accompagner », ajoute Adrien Couret. Avec plusieurs millions d’assurés à leur actif, les groupes mu-tualistes les plus importants auront pour rôle de « fixer et d’observer des standards en matière d’éthique et de protection des données, de créer un cadre de confiance pour les assurés ». Un rôle qui leur sera naturellement dévolu aussi parce que les mutuelles font partie des acteurs économiques auxquels les Français font le plus confiance.
Dernier point mais sans doute pas le moins important, le modèle mutualiste, avec toutes ses valeurs, représente aujourd’hui pour une génération qui cherche à retrouver du sens dans sa vie professionnelle « une véritable alternative à l’entreprise privée, conclut Olivier Pastré. Les mutuelles correspondent vraiment au constat que les jeunes ont envie d’autre chose que du CAC. »