Elle se qualifie « d’entrepreneuse ». Laurence Bauduin, élue présidente de l’Institut des actuaires en juillet 2022, entend mettre sa vision globale au service de l’intérêt général.
Directeur général de votre entreprise, vous avez fait le choix de vous investir bénévolement dans l’Institut des actuaires. Qu’est-ce qui le motive ?
Laurence Bauduin : J’ai toujours passé beaucoup de temps à l’Institut des actuaires. Jeune actuaire, sur le conseil de professionnels plus seniors, j’y ai fréquemment consulté des mémoires et travaux de recherche pour compléter mes connaissances sur des enjeux réglementaires, modèles ou préconisations. Des évolutions importantes se profilaient, en matière de gestion actif passif, ou avec Solvabilité II. L’Institut des actuaires se mobilisait sur ces sujets, et il était possible d’y être aux avant-postes, de se confronter à de nouveaux questionnements. Qu’est-il juste actuariellement de faire, dans l’intérêt général et celui de l’entreprise ? Je me suis investie dans des groupes de travail, commissions, puis il y a une dizaine d’années, dans le Conseil d’administration. Participer à ces travaux est d’une grande richesse. Au sein de la Maison des actuaires, j’ai pris conscience d’appartenir à un véritable corps professionnel. C’est un motif de fierté. J’ai souhaité revenir au Conseil d’administration pour, cette fois, transmettre. Et aussi faire connaître et apprécier notre beau métier, qui m’a ouvert de nombreuses portes.
Votre élection à la tête du Conseil d’administration dote l’Institut des actuaires d’une présidente, pour la première fois depuis 2005. Est-ce un signal ?
Laurence Bauduin : Promouvoir les femmes est effectivement dans l’air du temps, il ne faut pas en être dupe. Mais à l’Institut des actuaires, cette attention portée à la mixité n’est pas nouvelle. Dès sa re-fondation dans sa forme actuelle, notre association professionnelle a porté des femmes à sa présidence. D’ailleurs, le Conseil d’administration est presque paritaire (neuf femmes, onze hommes). Le réseau Actu’Elles, créé il y a plus de dix ans pour promouvoir la mixité dans les organisations où exercent des actuaires, est à l’origine de la charte que l’Institut des actuaires a adoptée en ce sens. Ce qui est important, ce n’est pas tant d’avoir un ou une président(e), mais de dire et montrer que les deux sont possibles. Nous devons continuer à l’encourager dans chacune de nos activités, comme dans notre gouvernance.
Il y a quelques années, on observait une féminisation et un rajeunissement de la profession. Est-ce un objectif ?
Laurence Bauduin : Il y a quelques années, nous observions effectivement une augmentation de la part des jeunes actuaires femmes dans nos promotions de nouveaux associés. Ce mouvement a ralenti, car l’actuariat n’échappe pas à la raréfaction de l’orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques. Il ouvre pourtant à de nombreux métiers, dans de nombreux secteurs, où les femmes peuvent aussi bien que les hommes faire de belles carrières – en tout cas avoir le choix de leur parcours. Valoriser notre profession pour attirer à elles de nouveaux talents, femmes et hommes, est une des missions de l’Institut des actuaires. Plus généralement, nous devons donc continuer à travailler sur la promotion de nos métiers auprès des jeunes, par exemple en participant cette année au salon Studyrama des Grandes Écoles et au Forum Emploi Maths, ou en nous appuyant sur les témoignages des jeunes actuaires eux-mêmes. Cela implique aussi que l’Institut des actuaires, qui incarne le mouvement actuariel, soit une référence concrète pour eux, un lieu où s’enrichir et s’investir. À l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, nous réfléchissons à la création d’instances spécifiques pour accompagner au mieux ces jeunes professionnels et stimuler les liens intergénérationnels au sein de notre association.
« L’actuariat » désigne une palette de métiers de plus en plus ouverte. Comment l’Institut des actuaires répond-il à ces nouveaux besoins ?
Laurence Bauduin : L’actuariat, c’est une profession, et des métiers. Un socle de fondamentaux mathématiques solides, une méthode, une rigueur, une pluridisciplinarité que chacun enrichit au fil d’une vie professionnelle où les possibilités de spécialisation sont vastes. Par le suivi des processus des formations et par la structuration du perfectionnement professionnel continu, l’Institut des actuaires garantit l’excellence de la profession, et sa reconnaissance en France et dans le monde entier. C’est sa première responsabilité. Au-delà, l’émergence de nouveaux risques nécessite de nouvelles connaissances pour les actuaires. Aux sujets habituels de fréquence, d’ampleur, ou de capacités de calculs, il faut ajouter les sujets de disponibilités des données voire même d’existence de ces données, et donc d’outils de modélisation. La compréhension de ces risques imposera à l’actuaire de travailler avec des équipes d’experts des domaines afin de nourrir la réflexion pour bien en comprendre les enjeux, de s’intégrer dans des équipes pluridisciplinaires. Sa formation scientifique doit lui permettre de pouvoir identifier les techniques appropriées, avec sans doute des limites et un enjeu de communication. Il est donc important pour les actuaires de continuer à se former sur ces nouveaux domaines, et d’optimiser leur contribution en associant le faire-savoir au savoir-faire. L’une des autres responsabilités de l’Institut des actuaires est de mettre au service de ses membres les outils adaptés à cette fin.
Cela veut dire répondre à des besoins de formations ?
Laurence Bauduin : De formation et d’informations ! Avec sa filiale de formation, l’Institut du Risk Management, l’Institut des actuaires propose des parcours variés, en actuariat, ERM, Data Science, intelligence artificielle, management de projets ou d’entreprises. Il faut continuer à investir sur chacun des sujets qui peuvent venir enrichir la palette des actuaires, mais également permettre à des professionnels non actuaires d’y trouver ce qui, dans nos métiers, peut être utile à une meilleure performance globale des équipes au sein des entreprises. Pour cela, il faut les identifier, et donc favoriser l’ouverture, l’acculturation à des nouveaux domaines pour bien comprendre les risques et potentiels impacts, la collecte et le partage d’informations. C’est l’objectif des événements actuariels comme de nos différentes publications, mais cela doit être aussi un réflexe au quotidien pour chacun.
Jusqu’à quel point l’actuariat peut ou doit-il élargir le champ de ses travaux ?
Laurence Bauduin : Personnellement, je pense que nous devons nous intéresser à l’ensemble des risques pour les identifier, même ceux qui ne se sont pas produits, même ceux sur lesquels nous n’avons pas de données. On a vu avec le covid que même le risque dont on se dit qu’il n’arrivera jamais arrive. Le devoir de l’Institut des actuaires est d’ouvrir les horizons sur ce qu’on n’a pas encore vu, sans être anxiogène sur les problématiques de données. Cela implique que les actuaires se montrent ouverts, pour enrichir nos cartographies. Mais aussi innovants, pour aller chercher de nouvelles données, de nouvelles méthodes, avec la rigueur scientifique qui doit rester la leur, mais avec pragmatisme. En tant que gestionnaires et modélisateurs du risque, nous avons le devoir de cette ouverture, qui est également un rempart contre le pessimisme.
Le Conseil d’administration a repris ses travaux à la rentrée avec une équipe renouvelée pour moitié. Quels sont ses premiers chantiers ?
Laurence Bauduin : Le Conseil d’administration s’est effectivement réuni dès la rentrée pour prendre connaissance de tous les enjeux stratégiques et des travaux en cours. J’en profite pour remercier tous les administrateurs de leur engagement pour le mouvement actuariel. Les actions déjà initiées seront poursuivies avec la même mobilisation, d’autres le seront bien sûr ultérieurement, avec l’appui des Commissions et Groupes de travail qui sont le moteur constant de nos réflexions. Les actuaires ont vocation à réfléchir sur tous les sujets dont l’actualité impacte nos secteurs, comme le changement climatique, le cyber risque, l’inflation et la remontée des taux, l’intelligence artificielle, l’assurance emprunteur, etc., et l’Institut doit être le lieu de cette réflexion collective. Plus encore : il doit être, à chaque fois que cela est possible et pertinent, un vecteur de sa communication car beaucoup de ces sujets emportent une dimension d’intérêt général qu’il nous importe de servir et protéger.
À cet égard, l’Institut des actuaires représente la profession auprès des instances de place. Quels sont les enjeux actuels ?
Laurence Bauduin : L’Institut des actuaires a des échanges fréquents et réguliers avec les organisations de place, à l’instar du Trésor, de l’ACPR, des fédérations professionnelles, du CESE… Il est bien sûr impératif de maintenir ces liens et de poursuivre ces travaux, car ils sont structurants pour l’avenir de nos secteurs, et de la société tout entière. Les enjeux de normalisation, de durabilité, ne peuvent s’envisager qu’à grande échelle, avec la participation de l’ensemble des acteurs concernés, au niveau de pertinence qui est le leur. L’Institut des actuaires a par exemple participé à la réflexion sur l’évolution du régime CatNat, et plus récemment contribué au rapport sur le développement de l’assurance du risque cyber publié par le Trésor début septembre. Il répond régulièrement, aussi au travers de sa représentation à l’Association actuarielle européenne (AAE), aux consultations de l’EIOPA. Cette présence active est importante pour apporter l’éclairage des actuaires français sur de grands risques, ou des aspects techniques, qui impactent nos métiers.
Quelle est l’importance de cette dimension internationale pour les actuaires ?
Laurence Bauduin : La profession actuarielle est organisée à l’échelle mondiale depuis ses origines. L’Institut des actuaires est ainsi membre de l’AAE, et de l’Association actuarielle internationale (AAI). L’intérêt en est triple. D’abord, cette appartenance engage au respect de standards professionnels – incluant notamment déontologie et perfectionnement professionnel –, lequel se traduit par des accords de reconnaissance mutuels. En d’autres termes, un actuaire IA qui satisfait à ces exigences est reconnu « fully qualified » partout dans le monde. Environ 10 % de notre effectif exerce d’ailleurs à l’étranger. D’autre part, elle permet à nos actuaires d’accéder aux publications et événements internationaux. C’est une véritable opportunité de partager des travaux actuariels de gestion des risques et de modélisation différents, car pas régis par les mêmes règles, ou nourris des mêmes études statistiques. Dans un contexte d’internationalisation des enjeux, sanitaires ou climatiques par exemple, de problématiques de modélisation, cette possibilité d’enrichissement mutuel est à encourager. Enfin, sur un autre axe, c’est également contribuer activement à la transformation de la profession actuarielle, avec nos spécificités. C’est le rôle de la Commission Normes et International, qui coordonne le déploiement des normes professionnelles. De fait, les enjeux techniques et réglementaires ne sont pas franco-français ; un certain nombre sont au moins européens. Il est donc naturel que l’Institut des actuaires s’investisse à l’international, et nécessaire que ses membres puissent être associés à ces sujets, par ailleurs fortement structurants pour l’intérêt général.
Quelles sont les prochaines échéances importantes pour l’Institut ?
Laurence Bauduin : Elles sont nombreuses, mais pour n’en citer que deux, j’insisterai sur nos prochains rendez-vous. Début octobre, nous organisons le 2e Colloque international de l’actuariat francophone, 100 % en ligne et en accès libre. Une initiative de l’Institut des actuaires, rejointe par l’AAI et les instituts belge, béninois, camerounais, canadien, ivoirien, luxembourgeois, marocain, sénégalais, suisse et tunisien, afin de proposer des conférences en langue française – par ailleurs langue officielle de l’AAI – sur des sujets actuariels d’actualité. En novembre, nous retrouverons notre Journée 100 % Actuaires-100 % Data Science, après deux ans d’absence. Elle est, elle, dédiée à la recherche, et une occasion privilégiée de valoriser les travaux réalisés par les actuaires IA, notamment dans nos commissions et groupes de travail. Partager expériences et expertises est un autre moyen pour l’actuariat de répondre aux défis actuels, et nous nous y emploierons.