Julien Vedani

15 juin 2021  | Par Séverine LEBOUCHER
L'actuariel // Métier // Julien Vedani

Atteint de sclérose en plaques depuis 2015, cet actuaire de 33 ans se prépare à gravir le Kilimandjaro en août. Une aventure sportive et scientifique pour laquelle son métier l’aide au quotidien.

4 500 mètres de dénivelé, une ascension de plusieurs jours et de moins en moins d’oxygène pour respirer au fur et à mesure qu’on approche du sommet : gravir les 5 895 mètres du Kilimandjaro est un défi hors normes pour tout sportif qui s’y attaque. Mais le défi sera d’autant plus important pour Julien Vedani, atteint d’une forme agressive de sclérose en plaques (SEP) depuis six ans. C’est pourtant pour cet exploit que se prépare le jeune actuaire certifié IA de 33 ans, dont le départ pour la Tanzanie est prévu en août 2021. « Après le diagnostic de ma pathologie, j’ai cru que ce rêve devenait pour moi inatteignable », se rappelle-t-il. Mais, en 2019, un tour d’Europe en train réalisé en toute autonomie lui redonne espoir : le désir de se hisser sur le toit de l’Afrique reprend le dessus. Il déménage de Paris à Lyon, plus près des montages pour pouvoir s’entraîner.

Ce projet, baptisé « Kili SEP 2021 », est intimement imbriqué dans son expérience professionnelle en tant qu’actuaire. D’abord car l’essentiel de ses soutiens sont issus de la profession. « Sur l’équipe de cinq personnes qui part en Tanzanie, nous sommes quatre actuaires », souligne Julien Vedani. Parmi eux, Stéphane Loisel, professeur d’actuariat à l’ISFA, son ancien directeur de thèse. « La gestion des risques est une dimension essentielle de la réussite du projet », souligne Julien Vedani. Les écueils sont de fait nombreux sur la route du sommet. « À notre connaissance, aucune personne atteinte de SEP n’a réalisé cette ascension et nous n’avons aucune idée de la manière dont mon corps va réagir, par exemple à l’altitude. Il faut donc se préparer à tout ce qui peut arriver », prévient-il. Au-delà du soutien financier apporté par ses différents sponsors, dont son employeur depuis plus de dix ans Milliman et le cabinet Actuaires & Associés, l’équipe a ainsi créé une cagnotte en ligne – toujours ouverte sur le site helloasso.com (Kili SEP 2021) – pour faire face aux coups durs nécessitant, par exemple, un rapatriement. Et si tout se passe bien, l’argent sera reversé à la Ligue française contre la sclérose en plaques (LFSEP).

Une école de la persévérance

L’approche scientifique est centrale dans le projet. La sportive Vanessa Morales, férue de trails en haute montage et par ailleurs infirmière, assurera un suivi quotidien de ses constantes qu’elle transmettra par téléphone satellitaire au pôle Saint-Hélier, à Rennes, centre de recherches sur la sclérose en plaques. En outre, pour pallier la faiblesse musculaire de ses jambes induite par son handicap, Julien Vedani s’équipera d’un exosquelette sur certaines parties de l’ascension, notamment pour les pentes les plus raides. Cet équipement doit être adapté aux conditions très particulières dans lesquelles il sera utilisé. « Nous sommes en train de travailler avec le fabricant ardéchois Tyva Energie pour concevoir des batteries pour l’exosquelette que nous pourrons recharger grâce à l’énergie solaire . L’exosquelette a été à l’origine conçu pour d’autres pathologies que la SEP et ne lui est pas toujours adapté, notamment lorsque l’on utilise en parallèle une béquille. Au cours de mes entraînements, nous nous sommes aperçus que son algorithme d’intelligence artificielle pouvait être amélioré grâce à la data science. Un de nos prochains projets sera d’utiliser les données issues de mes ascensions pour le faire évoluer… et, pourquoi pas, le tester sur l’Aconcagua, en Argentine ! » s’amuse-t-il.

Malgré cette intense préparation, le jeune actuaire n’en oublie pas son métier premier. « Je travaille à mi-temps au sein de l’équipe R&D de Milliman, détaché auprès du laboratoire de l’ISFA, témoigne-t-il. J’ai à la fois un pied dans la recherche et un pied dans les opérations, comme dans le cadre de ma thèse Cifre, ce qui est très appréciable : cela permet d’échanger avec des experts de disciplines très variées et de s’enrichir intellectuellement. J’ai ainsi pu travailler avec des mathématiciens, comme Nicole El Karoui, mais aussi des économistes, des spécialistes des sciences commerciales, etc. »Sa spécialité : l’évaluation interne des risques et de la solvabilité (ORSA) appliquée à l’assurance-vie. « C’était le sujet de ma thèse en 2012, mais, à l’époque, nous manquions d’outils, notamment en data science, pour mettre en application les modèles que j’avais conçus. Aujourd’hui, les choses sont en train de changer et mes travaux prennent tout leur intérêt. » Une expérience de la persévérance qui lui sera sans aucun doute utile pendant les dix jours de son ascension du Kilimandjaro.

La philosophie de l’instant présent

Loin de lui voler ses rêves, la maladie a donc au contraire donné à Julien Vedani un goût pour la vie inébranlable. « La sclérose en plaques a un faible impact sur la longévité des personnes qui en sont atteintes, pour reprendre le vocabulaire propre aux actuaires. Mais elle fait surtout prendre conscience de l’urgence qu’il y a à profiter du moment présent. C’est ce message que je veux envoyer à travers ce projet. » Un carpe diem qui, pour lui, commence bien avant de fouler la terre tanzanienne. « Ce qui compte pour moi n’est pas tant l’arrivée au sommet que le cheminement pour y parvenir. Tous les matins, je me réveille en faisant des plans sur la comète ! » Un optimisme qui rayonnera, espérons-le, du haut des 5 895 mètres du Kilimandjaro en août prochain.

Note

5 dates clés

  • 1988  : naissance à Orléans
  • 2011  : diplômé de l’Ensae
  • 2012  : entrée chez Milliman pour une thèse Cifre
  • 2015  : diagnostic de sclérose en plaques
  • 2016  : obtention d’un doctorat en actuariat de l’université Claude-Bernard-Lyon-1

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