D’abord érigé pour redonner confiance aux citoyens en la capacité des politiques de les protéger des nouveaux risques éventuels, le principe de précaution a revêtu diverses définitions et appropriations au fil du temps, bien qu’encadré par le droit depuis 1995. Dans l’inquiétude actuelle, générée par les crises climatiques, sanitaires et géopolitiques, cette volonté d’imputer des responsabilités tient-elle encore ses promesses ?
Apparu dans les années 1970 en Allemagne, sous le nom de « Vorsorgeprinzip », le principe de précaution est devenu une des normes structurantes des sociétés occidentales. Édicté à l’origine dans le champ scientifique, il a gagné au fil des décennies la sphère juridique avant de polariser le monde politique. Sa première introduction dans le droit remonte à la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement. « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement », avance le texte. À la suite de plusieurs scandales à grand retentissement, comme la crise de la vache folle ou l’affaire du sang contaminé, le principe s’est imposé à de nouveaux domaines. Il s’est étendu à la santé publique, la sécurité alimentaire, l’économie, l’urbanisme, la consommation, aux transports…
Inscrit dans des dizaines de droits nationaux, le principe de précaution est considéré comme une réponse à l’accroissement de la puissance technique. Ses contours demeurent toutefois difficiles à appréhender et sa mise en œuvre suscite de profonds débats. D’autant que chaque entité juridique a édicté sa propre définition. Celle de la Commission européenne indique, par exemple, que : « L’invocation ou non du principe de précaution est une décision prise lorsque les informations scientifiques sont incomplètes, peu concluantes ou incertaines et lorsque des indices donnent à penser que les effets possibles sur l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale pourraient être dangereux et incompatibles avec le niveau de protection choisi. » Présenté à l’origine comme une notion pragmatique, et certainement pas morale, le principe de précaution a pâti du flou qui entoure son statut juridique. La notion a ainsi été peu à peu confisquée dans le débat public par les défenseurs d’un monde sans incertitude.