Magali Reghezza-Zitt explique l’évolution de la notion de « catastrophe naturelle », l’émergence de la « vulnérabilité » dans le champ du risque et l’attention récente portée à la résilience.
Comment a évolué la notion de « catastrophe naturelle » ?
Magali REGHEZZA-ZITT : Jusqu’au XVIIIe siècle, l’Occident prémoderne considérait les catastrophes naturelles comme des manifestations de la volonté divine. Cela posait d’ailleurs, et depuis longtemps, des problèmes aux philosophes : comment de tels événements pouvaient-ils être compatibles avec la toute-puissance et l’infinie bonté de Dieu ? Et puis, au milieu du XVIIIe, un tournant s’amorce avec la « controverse de Lisbonne », qui oppose Voltaire à Rousseau. Le 1er novembre 1755, soit le jour de la Toussaint, un tremblement de terre, suivi d’un raz de marée et d’incendies, cause plus de 50 000 morts à Lisbonne. Voltaire critique alors les philosophes qui pensent que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » et insiste sur la cruauté incompréhensible de l’événement, sans pour autant remettre en question la toute-puissance divine.
Quelle est la position de Rousseau ?
Magali REGHEZZA-ZITT : Rousseau laïcise le danger. Loin d’être des « actes de Dieu », les catastrophes sont l’œuvre des hommes. Dans sa Lettre sur la Providence, il écrit, en parlant de la ville de Lisbonne, que ce n’est pas la nature qui a « rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul ». Pour résumer, il n’y a pas de catastrophe dans le désert. Selon Rousseau, il faut donc chercher la source des maux « dans l’abus que l’homme a fait de ses facultés plus que dans la nature elle-même ».
Quelles sont les conséquences de cette laïcisation ?
Magali REGHEZZA-ZITT : Si la catastrophe n’est pas d’origine supranaturelle, il est possible de tenter de l’empêcher, sans contrevenir à la volonté de Dieu.