Dans notre numéro anniversaire consacré à l’optimisme, Élisabeth Laville analyse de quelle façon la crise a accéléré la conciliation des impératifs écologiques et économiques.
Comment pensez-vous que le monde sortira de la crise actuelle ? Sera-t-il davantage conscient de sa fragilité ?
Élisabeth Laville : J’apprécie beaucoup cette citation de Jean Monnet qui affirme que « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Même si, bien sûr, cela ne se vérifie que sur le long terme, je crois en cette vertu importante des crises de constituer des points de bascule. Tout à coup, les choix d’une minorité active vont gagner la majorité silencieuse. C’est ce qui pourrait arriver dans les prochaines années, car le monde sortira de ces mois difficiles davantage conscient des interdépendances entre les générations – les jeunes se sont confinés pour protéger les plus âgés –, entre les continents – le virus a touché tout le monde –, mais aussi entre l’homme et la nature – quand nos activités s’arrêtent, nous avons beaucoup dit qu’elle reprenait ses droits. Pendant la crise, nous avons su faire preuve de solidarité. Chacun est parvenu à oublier un peu son intérêt personnel pour favoriser le collectif. Je crois que cette expérience est la meilleure préparation possible aux inévitables prochaines crises, qu’elle va renforcer notre résilience commune.
La crise sanitaire a aussi eu le mérite de nous dévoiler l’ampleur des défis qui nous attendent : en 2020, les émissions à effet de serre ont été réduites de 7 % à 8 %, alors que les activités humaines ont été arrêtées durant un trimestre. Il faudrait chaque année rester sur ce rythme de réduction des émissions, tout en laissant bien sûr l’économie prospérer.
Je note enfin que ces mois ont donné une leçon magistrale aux conservateurs de tout poil : nous avons réalisé que ce que tout le monde pensait impossible ne l’était pas toujours. En quelques jours, l’humanité entière a été confinée, toutes les entreprises, même les plus réticentes, sont passées en télétravail, une entreprise comme Décathlon a fabriqué des respirateurs à partir de ses masques de plongée, Nike a raccourci son cycle d’innovation de dix-huit mois à deux semaines pour créer des visières…
Vous ne semblez pas vous positionner du côté de Michel Houellebecq, qui estimait en mai 2020 que le nouveau monde serait comme avant, « en un peu pire »…