La philosophe Corine Pelluchon, auteure de l’essai Les Lumières à l’âge du vivant (Seuil) invite à revisiter les Lumières du XVIIIe siècle pour affronter les défis de notre époque.
En quoi l’héritage des Lumières peut-il nous aider aujourd’hui à aborder l’avenir, si incertain ?
Corine Pelluchon : Les Lumières impliquent une organisation politique fondée sur la démocratie, l’autonomie, l’unité du genre humain et la rationalité. La liberté de pensée – qui est la clé pour que nous prenions en main notre destin et que nous renouvelions le projet d’émancipation individuelle et collective des Lumières – permet de défendre ces quatre piliers tout en les repensant à l’aune des défis actuels. Les Lumières célèbrent la rationalité, et la raison représente pour eux un moyen d’accéder à l’universel, un outil indispensable à l’affranchissement de ses préjugés, à la remise en question d’habitudes et de pensées périmées. Cette attitude critique à l’égard du présent n’est rivée ni à un continent ni à une époque, ce qui fait d’elle une structure intellectuelle presque intemporelle. Elle est un processus inachevé, qui commence avec Socrate et a du sens, aujourd’hui encore, à l’époque du réveil du nationalisme, du complotisme et du terrorisme.
Renouer avec ces piliers semble d’autant plus important que l’affrontement des Lumières et des anti-Lumières atteint une forme de paroxysme…
Corine Pelluchon : Oui. Cela me semble d’autant plus essentiel que les anti-Lumières se font entendre et veulent imposer une société hiérarchique, essentialiste, opposant une partie de l’humanité à l’autre, rivant les individus à leur appartenance ethnique, voire biologique. Leur haine de la raison est une arme de guerre pour installer une sorte de fascisme. Mais les Lumières comptent aussi des opposants à gauche, avec les post-modernes. Les féministes et les post-coloniaux leur ont ainsi reproché d’être incapables de tenir les promesses d’une société inclusive et vraiment juste.