Février 2043
Objet de toutes les convoitises des grandes puissances, la Russie entreprend une vaste opération
de recongélation de la banquise pour garder la mainmise sur l’Arctique.
La carlingue jaune fluo de l’Iliouchine Il-476 floqué du drapeau tricolore russe vient à peine de se mettre en branle qu’Atanarjuat Anuraaqtuq a déjà les ongles enfoncés dans son fauteuil, paupières et mâchoire soudées. Jamais cet Inuit n’avait pris l’avion. Et pour une première, assis dans ce gros-porteur militaire russe de 50 mètres d’envergure, le quarantenaire a de quoi être impressionné. Il a pourtant laissé au fond de sa poche la pastille de CBD concentré que sa compagne Atuat avait précautionneusement glissée. Pas question pour lui de manquer une miette du vol de moins de 3 500 kilomètres qui le conduit de Cambridge Bay, en territoire inuit du Nunavut, dans le Grand Nord canadien, jusqu’à l’aéroport de Tcherski, dans le Nord-Est russe, en Sibérie orientale. Une fois la poussée du décollage digérée, le voilà les yeux écarquillés et le front collé comme une ventouse au hublot.
Le paysage est d’autant plus facile à mirer que les conditions de navigation à proximité du pôle Nord contraignent le pilote à voler à basse altitude. Mais l’excitation que lui procure la découverte de ces vues aériennes laisse vite place au désenchantement. Malgré l’hiver qui bat son plein, la banquise, lacérée de larges failles, semble se disloquer par endroits. L’Arctique se réchauffe depuis le début du XXIe siècle trois fois plus vite que le reste du globe. La région a même gagné jusqu’à 5 °C sur certaines zones. La taille de la banquise est pourtant à son maximum en hiver avec une surface avoisinant les 15 millions de kilomètres carrés. En été, la situation est la plus critique. Alors qu’en septembre la banquise ne descendait jamais en dessous de 6 millions de kilomètres carrés jusqu’à la fin des années 1990, cette surface s’est réduite comme peau de chagrin depuis les années 2000. Depuis une dizaine d’années, il arrive même qu’elle disparaisse totalement lors des périodes estivales.