Août 2047
Les combattants de chair et d’os ont laissé place aux drones contrôlés par intelligence artificielle. Cette course à l’armement conduit deux superpuissances au bord du gouffre.
Au moment où Wang Min entend s’approcher le bourdonnement si caractéristique de l’essaim de drones du Guoanbu, le puissant service de renseignement chinois, il comprend que la guerre est proche. « Dans deux ou trois jours au mieux », pense le sexagénaire en bondissant hors du lit. Aussitôt arrivé sur le toit de son luxueux duplex, au sommet d’un des immeubles les plus modernes de Shenzhen, il s’engouffre dans le drone principal. Puis, protégé par une escouade d’une quinzaine d’engins, il s’envole en direction du centre de commandement opérationnel du comité central du Parti communiste chinois (PCC) le plus proche. Ce n’est qu’une fois descendu dans le bunker sécurisé qu’il comprend la situation : un automate spatial survolant Taïwan a identifié, dans la nuit, des rampes de lancement de drones américains ainsi que des hubs portuaires pour navires autonomes sur la côte ouest de l’île. À moins de 200 kilomètres de la République populaire. La réponse du comité central doit être ferme et immédiate.
L’heure est à la riposte, et c’est pour cela que Wang Min a été tiré de son sommeil en pleine nuit par une colonne de drones. Il est l’un des hommes les plus puissants de cette moitié du XXIe siècle. Alors qu’il était étudiant à l’université des sciences et technologies de Hong Kong, il développa, avec son camarade universitaire Frank Wang, un prototype de quadricoptère téléo-péré, piloté à distance. Dans la foulée, ils avaient tous deux lancé, en 2006, à Shenzhen, leur entreprise : DJI pour Da Jiang Innovation, « l’innovation sans limite ». La firme s’est rapidement imposée sur le marché international du drone civil. À l’époque, cela lui valut le surnom de « l’Apple de Shenzhen ». Impossible pour l’américain Skydio ou même le français Parrot de rivaliser. Ils ont fait partie de ces entrepreneurs chinois qui ont redéfini la notion de Made in China pour en faire un gage de qualité et d’excellence. Depuis le début des années 2000, Shenzhen a progressivement cessé d’être la capitale mondiale des ateliers clandestins de contrefaçons pour devenir le laboratoire de l’innovation technologique. La ville a su tirer avantage de sa proximité avec les chaînes d’approvisionnement mondiales de pièces et de composants électroniques. Et le duo y imposa son règne. Ils n’étaient, en 2020, qu’à la 102˝ place du classement Forbes, avec une fortune alors estimée à quatre milliards d’euros chacun.