Bertrand Badie démontre l’interdépendance des États face aux menaces planétaires et évoque un acte II de la mondialisation.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les priorités des États ont changé. Longtemps oublié, le social est revenu sur le devant de la scène. Comment percevez-vous cette rupture ou cette redistribution des priorités ?
Bertrand BADIE : Si l’on y regarde de plus près, la rupture date en réalité d’il y a 30 ou 40 ans. Seulement, elle était invisible ou du moins peu visible de l’opinion publique et des dirigeants, qui continuaient à utiliser les vieux manuels de politique internationale. Pourtant, elle était prévisible et largement annoncée par beaucoup d’experts et d’acteurs multilatéraux, comme le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En 1994, ce dernier avait mis en garde sur le fait que la principale menace qui pesait sur le monde n’était pas tant une offensive militaire que l’insécurité alimentaire, sanitaire, environnementale et économique. Force est de constater que, jusqu’à la chute du mur de Berlin, la conception de la sécurité était purement nationale, basée sur le territoire étatique et la souveraineté politique, tandis qu’après sa chute elle a changé de nature pour devenir plus globale que nationale.
Si cette crise couvait depuis des années, peut-on dire aujourd’hui, d’un point de vue sociétal et politique, qu’un changement est en train de s’opérer ?
Bertrand BADIE : Nous pouvons prendre conscience de ce moment de rupture sans que les conditions soient réunies pour que les choses changent effectivement. Pour le moment, c’est la perception du monde qui est en train de se modifier. La crise sanitaire actuelle nous a fait comprendre que nous ne regardions pas dans la bonne direction. Celle-ci est forte et s’immisce donc dans la conscience intime de chaque individu. Chacun est touché dans son propre espace de survie. Il y a en cela quelque chose d’ineffaçable. Cette peur brutale a suscité en outre des attentes de protection renforcée, exigée de la part de l’État.