Ehpad : Peut-on encore bien accueillir ?

1 octobre 2024  | Par Jessica BERTHEREAU
L'actuariel // économies // Ehpad : Peut-on encore bien accueillir ?

Alors qu’ils traversent une crise économique et sociale importante, les Ehpad doivent dès aujourd’hui se préparer à la croissance démographique des seniors qui ne cesse de s’accentuer. Quelles solutions s’offrent à eux pour mieux accueillir résidents et salariés et trouver un modèle pérenne ?

Vingt-deux ans après leur création, les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont confrontés à une crise multiforme. Ce secteur, qui regroupe 7 443  Ehpad sous statut public, privé non lucratif ou privé commercial pour 613 315 places au total (1), souffre à la fois de difficultés budgétaires, d’un modèle à bout de souffle et d’une crise des ressources humaines. Son image reste par ailleurs abîmée suite à la publication du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet (Fayard, 2022), qui dénonce un système de détournements de fonds publics et de mesures d’économies engendrant des maltraitances dans les Ehpad d’Orpea. Le groupe, repris en 2023 par la Caisse des dépôts aux côtés de CNP Assurances, de la Maif et de MACSF Épargne retraite, a changé de nom en mars 2024 pour devenir Emeis.

Sur le plan budgétaire, de nombreux établissements présentent une situation très dégradée. À l’occasion de la publication, en avril, de son enquête nationale annuelle, la Fédération hospitalière de France (FHF) a ainsi signalé une généralisation « inédite et alarmante » des situations déficitaires, avec 84,4 % des Ehpad publics dans ce cas de figure en 2023, contre 43,9 % en 2019. La FHF estime que le déficit cumulé des Ehpad publics sur 2022 et 2023 représenterait plus de 1,3 milliard d’euros. La Fédération ne précise toutefois pas le budget global des Ehpad publics, qu’il est difficile de trouver distinctement. Dans ses comptes publiés en juin 2020, la Sécurité sociale établit à 25,1 milliards d’euros les recettes globales des Ehpad, tout secteur confondu, en 2018. En avril toujours, 13  organisations des secteurs public et privé non lucratifs ont lancé une alerte sur la situation budgétaire « critique » des établissements et services autonomie à domicile, dont 75% ont clôturé l’exercice 2023 avec un déficit. Du côté du secteur privé commercial, il n’existe pas de chiffres agrégés. « Mais, d’après ce que nous disent nos adhérents, plus de 50 % des établissements commerciaux étaient en déficit au 31 décembre 2023 », indique Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa, le syndicat des Ehpad privés. Une situation financière due à des charges qui ont augmenté plus fortement que les tarifs et les enveloppes budgétaires fixés par l’État et les départements. « Il y a un effet conjugué d’augmentation générale des prix des matières premières, de l’énergie et de revalorisations salariales nécessaires des professionnels, détaille Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss, qui représente la plupart des Ehpad associatifs. Les pouvoirs publics ont créé des dispositifs de compensation qui ne prennent pas en compte l’intégralité des dépenses supplémentaires. Cela a forcé de nombreuses associations à prendre sur leurs fonds propres. »

Vous souhaitez lire la suite de l’article ?

Achat de l'article

Acheter

Abonnement

S'abonner

Mon compte

Christine PIRÈS-BEAUNE, Députée, Autrice d’un rapport sur le reste à charge en Ehpad (juillet 2023)

Christine PIRÈS-BEAUNE (députée PS-NFP du Puy-de-Dôme), Autrice d’un rapport sur le reste à charge en Ehpad (juillet 2023),  missionnée par le gouvernement Borne.

Point de vue

« Il me semble indispensable d’aller vers des tarifs nationaux et opposables »

Pourquoi le reste à charge est-il si variable selon les personnes?

Le coût de l’Ehpad varie selon le tarif appliqué. Or, il n’y a pas de tarif national ou un encadrement réel des tarifs, tant pour le secteur public que pour le secteur privé. Selon le département et l’établissement, le coût de l’hébergement ou des charges liées à la dépendance peut évoluer fortement, dans un rapport de 1 à 4 ou 5. Le reste à charge varie en outre selon le degré de dépendance. Tous ces facteurs font que le reste à charge est très variable. Il me semble donc indispensable d’aller vers des tarifs nationaux et opposables, pouvant être déclinés dans les territoires selon certaines spécificités, dont le prix du foncier.

En quoi consisterait cette nouvelle allocation universelle?

Le système actuel est complexe et peu lisible. Il est composé de nombreux soutiens différents: aides au logement, allocation personnalisée d’autonomie, réduction d’impôt, aide sociale pour les plus pauvres… De plus, le système aide actuellement relativement plus les plus aisés  que les personnes aux revenus moyens, et les soutiens apportés aux plus modestes doivent être renforcés et clarifiés. Je propose que la nouvelle allocation universelle soit modulée selon les revenus et le patrimoine des personnes protégées. Le système serait ainsi plus simple, plus clair et plus équitable.

Quelles sont les autres pistes pour réduire le reste à charge?

Le défi auquel nous devons faire face est immense. Il justifie une action publique renouvelée et des financements supplémentaires, pour plus et mieux prendre en charge nos aînés les plus fragiles. Mais pour que les Français acceptent ces efforts, le système doit être plus clair, homogène et universel. Nous devons apporter la garantie que chaque euro dépensé l’est à bon escient.

Christine PIRÈS-BEAUNE (députée PS-NFP du Puy-de-Dôme),
Autrice d’un rapport sur le reste à charge en Ehpad (juillet 2023),  missionnée par le gouvernement Borne.
Encadré

Vers une assurance dépendance obligatoire ?

L’assurance dépendance séduit encore peu au regard des réels besoins des actuels et futurs seniors. Mettre en place un contrat obligatoire permettrait de mieux couvrir le reste à charge des résidents en Ehpad. À condition de mutualiser le risque.

« L’offre actuelle en matière d’assurance dépendance n’a pas trouvé un large public », a constaté le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) dans une recommandation rendue début 2024. Seules 2,64 millions de personnes sont couvertes en matière de dépendance, dont 1,48 million par des contrats spécifiques, pour des cotisations représentant 814 millions d’euros. Ces contrats présentent plusieurs défauts : ils sont « non harmonisés, avec des définitions diverses, présentant des tarifs qui peuvent être élevés et des niveaux de prise en charge souvent insuffisants », liste le CCSF.
Le comité estime alors que « seule une mutualisation large du risque peut contribuer efficacement à l’octroi d’une rente significative en cas de dépendance totale ». Reprenant une proposition faite par France Assureurs et la Mutualité Française en amont de l’élection présidentielle de 20221, il suggère la mise en place d’un contrat d’assurance dépendance obligatoire permettant le versement d’une rente en cas de dépendance totale (GIR 1 et GIR 2) afin de réduire le reste à charge (1 957 euros par mois en moyenne, avant prise en compte de l’aide sociale à l’hébergement).
« Le cœur de la proposition est de coupler cette assurance aux contrats d’assurance complémentaire santé, puisque 96 % de la population française est couverte par ce type de contrat. Cela garantit une mutualisation très large et dans le temps », explique Paul Esmein, directeur général de France Assureurs. « Nous avons travaillé sur plusieurs scénarios : en fonction de l’âge de démarrage de paiement des cotisations, on peut arriver à une rente qui peut aller jusqu’à 500 euros par mois avec une cotisation majoritairement comprise entre 10 et 20 euros par mois », détaille Guénaëlle Haumesser, directrice de la prévention et de l’accompagnement mutualiste à la Mutualité Française.
La mutualisation du risque serait assurée au sein d’un pool de coassurance, « ce qui permettrait une totale transparence dans la gestion du risque », précise Paul Esmein. Ce pool effectuerait le pilotage de long terme du risque, en coordination avec les pouvoirs publics.Il garantirait et provisionnerait les sinistres, et couvrirait financièrement de manière viagère les dépendants totaux, précise-t-on chez France Assureurs.
« La définition et la mise en œuvre des modalités de gestion et de pilotage de ce pool s’annoncent complexes », prévient Aurélie Treilhou, actuaire certifiée IA et associée de Périclès Actuarial, qui dirige le groupe de travail dépendance de l’Institut des actuaires. « Notre principale ambition est de construire des tables d’expérience propres à la dépendance, afin que le marché puisse disposer de bases techniques communes pour évaluer le risque ou faciliter l’accès de ce marché à de nouveaux acteurs. » Aurélie Treilhou précise ainsi que « ces tables pourraient notamment permettre d’affiner les tarifs présentés dans la proposition du CCSF ».

1 – Construire une nouvelle solution solidaire et transparente face à la dépendance liée à l’âge, livre blanc de France Assureurs et de la Fédération nationale de la Mutualité Française, 2021.

Se connecter